L'âme réécrite : étude sur la personnalité multiple et les sciences de la mémoire

C'est une étrange épidémie qui s'est répandue en quelques années aux Etats-Unis : le trouble de le personnalité multiple. Des patients présentent plusieurs personnalités qui alternent et s'ignorent les unes les autres. Une personnalité-hôte près de ses sous peut avoir un alter qui fait les magasins et achète sans aucune mesure. La froide et efficace assistante d'un cadre en pleine réussite est impeccable dans ses tailleurs faits sur mesure. Elle possède une armoire où ses vêtements sobres pendent en ordre sur des cintres couverts de feutrine. Mais il y a une autre garde-robe, à laquelle elle ne touche pas quand elle est dans son premier état, bourrée de vêtements clinquants et pailletés.

Des livres témoignages ont été écrits, des films ont été réalisés, des émissions spéciales ont été diffusées à la télévision, les grands magazines y ont consacré leur une. Les passions se sont déchaînées. Est-ce un véritable trouble mental ou seulement une pathologie induite par des pratiques psychothérapeutiques d'apprentis sorciers ? On a assisté à une véritable mobilisation, y compris sur le terrain judiciaire, des pour et des contre. Pourtant, au-delà du grand public, ce trouble a été repéré et classe comme tel dans le DSM (manuel officiel de classification des troubles mentaux aux Etats-Unis et dans le monde, mis au point par l'American Psychiatric Association), sous le nom de troubles dissociatils, bien distincts de la dépression, de la schizophrénie ou même de la psychose maniaco-dépressive à laquelle Pierre Janet avait rattaché ce trouble à la fin du XIX^e siècle.

Car c'est bien en France que les premières observations de personnalités multiples ont été faites, à l'époque de Charcot, au moment où naissent les sciences de la mémoire, avant de complètement disparaître. Mais, alors, les personnalités étaient seulement doubles. Aujourd'hui un patient peut abriter plusieurs dizaines de personnalités alternantes. Que se passe-t-il donc aux Etats-Unis ?

Pour comprendre, il faut se pencher sur ce qui est considéré comme la cause (l'étiologie) de ce type de troubles : les personnalités multiples seraient des survivants, des adultes ayant été victimes d'abus sexuels lorsqu'ils étaient enfants. L'ingrédient essentiel à la réussite du mouvement multiple est l'obsession américaine focalisée sur les abus subis par les enfants, c'est-à-dire un mélange de lascination, de répulsion, de colère et de peur. L'épidémie de personnalités multiples serait-elle la conséquence épouvantable et imprévue d'une mobilisation pour faire cesser des pratiques elles-mêmes horribles ? Mais alors, cette épidémie est-elle à nos portes, prête à éclore sur les mobilisations actuelles contre les violences faites aux enfants ?