Le calligraphe : (les 6 jours d'une étrange affaire)

Extrait LUNDI Le facteur é,tait là,, debout, un peu de biais : il bloquait d'un pied la porte de l'ascenseur, pour l'empê,cher de se refermer. Il tenait à, la main un long livret, é,troit, que divisaient des lignes horizontales , il m'y dé,signa un endroit, d'un stylo à, bille qu'il tenait par la pointe et qu'il dirigea ensuite vers ma poitrine. Comme si mon nom é,tait une formule magique et pouvait remplacer toute explication, il ré,pé,ta : - Pavlicic ! J'ai pris le stylo et j'ai signé,, là, où, il me semblait qu'il fallait le faire : je n'y voyais presque rien, car je n'avais pas ré,ussi à, chausser mes lunettes lorsque le coup de sonnette du facteur m'avait tiré, du lit. À, la faç,on dont, en catastrophe, il a retiré, le cahier qu'il tendait, j'ai compris que je n'avais sans doute pas choisi la bonne case. Le messager a grommelé, quelque chose, hoché, la tê,te, et alors, de dessous son aisselle, il a tiré, une grande enveloppe jaune, et il me l'a pré,senté,e. Et, pour la troisiè,me fois, il a prononcé,, selon la rè,gle : - Pavlicic ! C'est en effet ce qui é,tait inscrit sur l'enveloppe, en lettres majuscules. Cela, je pouvais le voir, mê,me sans lunettes : le facteur ne s'é,tait pas trompé,. Du mê,me pied, il a habilement rouvert la porte de l'ascenseur. Il y a sauté,, et il a appuyé, sur le bouton. Mieux, il a mê,me ré,ussi à, toucher la visiè,re de sa casquette. Je suis resté, seul sur le palier. D'en haut, par la porte ouverte sur la terrasse, arrivait l'odeur fraî,che d'un matin de septembre. Je me ré,veillais doucement. Je suis retourné, dans l'appartement, j'ai mis l'eau pour le café,, et jeté, un coup d'oeil par la fenê,tre. Vraiment, dehors, c'é,tait une matiné,e de septembre douce et accueillante, derniè,re cé,lé,bration pré,cé,dant l'automne, avec tous ses attributs : taches de cuivre dans les cimes des arbres, ciel d'un bleu intense, horizons magnifiques et longues ombres matinales rappelant avec dé,licatesse que ce paradis n'est qu'é,phé,mè,re. C'est la pé,riode de l'anné,e où, m'envahit inexorablement une dé,mangeaison d'é,crire et où,, souvent, je m'assieds, fixe quelque objet, pour ensuite me lancer à, noircir du papier, jusqu'à, avoir mal à, la main, avoir bouclé, un chapitre ou terminé, une histoire. Et, alors seulement, je m'é,vade vers la douce et chaude journé,e de septembre, dont je peux pleinement jouir une fois le travail achevé,. Pour quelque temps encore, j'é,tais seul. Dans l'appartement ré,gnait le silence , ma femme et mon fils é,taient partis pour deux semaines, au bord de la mer : les conditions é,taient ré,unies pour griffonner quelque chose en vitesse. Sur le feu, l'eau dé,bordait , j'y ai mis le café,. Pendant que je le versais lentement dans la tasse et que j'y ajoutais du lait, je regardais avec tristesse vers la fenê,tre : pour ce jour-là,, j'avais dé,jà, plusieurs choses de pré,vues, et il n'é,tait pas question de me mettre à, é,crire. Cela m'agaç,ait. Alors, j'ai brusquement ouvert l'enveloppe , je l'ai dé,chiré,e, sans m'inquié,ter d'abî,mer le contenu. J'ai pensé, que mê,me septembre n'est plus ce qu'il a é,té,. Autrefois, lorsque j'é,tais plus jeune, et les circonstances diffé,rentes, c'est avec impatience que j'attendais ce mois, et le retour à, Zagreb : alors, on retrouvait les amis, divers projets prenaient corps, on pouvait nourrir un espoir, et je me ré,jouissais mê,me des besognes anciennes et routiniè,res. Ainsi, dans cette attente du mois de septembre, il y avait comme un trac amoureux. Mais depuis qu'a commencé, la chienlit politique, depuis que j'ouvre les journaux avec terreur et depuis que, peut-ê,tre, je suis moi-mê,me devenu grincheux, cela me chagrine presque de voir passer l'é,té,, et s'approcher le mois de septembre : je me demande toujours ce qu'ils nous ont mijoté, maintenant, eux là,-bas, quel dé,sagré,ment m'accablera encore, et de quelle belle chose on s'apercevra qu'elle ne saurait plus exister.