La culture de la haine

L'expression doit s'entendre de deux manières qui correspondent aux points de vue complémentaires adoptés par l'auteur :

1. Tout ce qui contribue à nourrir, à développer, à faire se multiplier les sentiments haineux et leurs manifestations dans la bourgeoisie européenne du XIX^e siècle. Cela commence par la passion des officiers allemands pour le duel au sabre, présenté à la fois comme une cérémonie initiatique héritée des plus anciennes pratiques tribales, comme une preuve sociale de virilité nécessaire à la cohabitation des générations et comme un substitut indispensable à l'interdiction d'une sexualité débridée. Cela se poursuit par l'étude des relations entre homme et femme, entre client et fournisseur, entre colonisé et exploitant, trois registres où les générations du siècle précédent ont su déployer des trésors de haine.

2. L'habileté montrée par ces mêmes individus à domestiquer la haine, à en dériver les effets vers la chasse ou le sport, à surmonter par le fantasme et la sublimation, voire retourner la charge énergétique d'une frustration à leur profit. Ce n'est pas un hasard si Freud trouve là l'aliment de ses réflexions sur la <>.

Vagabondant à partir d'un exemple anecdotique - l'exécution d'un condamné, les réactions aux travaux de Darwin, la pratique de la flagellation dans l'éducation des enfants, une gravure de Daumier dénonçant le cynisme des hommes politiques - Peter Gay reconstruit par touches successives le panorama de la société européenne d'avant 1914. On y distingue les pathologies dont elle souffre - au travail comme dans sa famille -, les secours intéressés qu'offrent les démocrates, les démagogues et les sorciers en tout genre, les échappatoires réelles ou illusoires que proposent les plaisirs du corps ou les soins de l'âme. Tout ce qui prépare l'avènement de l'ère des névroses collectives et de sa première manifestation tragique : la guerre de 1914.