Le doigt

En ces temps de trouble et de barbarie envahissants, l'Italie vivait une effervescence permanente, l'Empire romain croulait sous les assauts des Vandales et des Ostrogoths. Des hordes de pillards parcouraient le pays en tous sens, aucune des valeurs jusqu'ici intangibles ne résistait à la peur, à l'affollement, au besoin des populations de maintenir un semblant d'ordre et de sécurité.

C'est le moment que choisit l'évêque de Crémone pour mourir. Il était de ceux qui servaient d'ultime rempart moral face à l'anarchie régnante. Aussi, lorsque son corps embaumé fut exposé, afin que lui soit rendu un ultime hommage, c'est une foule recueillie qui se pressait sur le parvis de la cathédrale. Et dans la foule, il y avait Eusèbe, un petit garçon d'une douzaine d'années.

Comment avait-il pu faire cela, ce geste aussi sacrilège que révoltant ? Il n'aurait pu le dire. Mais quel que soit son mobile ou sa fascination, l'améthyste, la pierre qui ornait la sainte bague du saint doigt du saint prélat était là, rutilante, brillante, cachée sous la robe... Epouvanté, Eusèbe s'enfuit.

Une fuite sans fin, une errance qui le mena jusqu'à la plaine du Pô, puis le ramena dans les marais Pontins, avant qu'il ne se retouve dans sa Toscane natale. Il avait été un voleur, un hors-la-loi, traître à son pays, à sa religion et pourtant, il lui sera donné de se racheter. Après avoir tour vu, tout traversé, tout transgressé, il sera bâtisseur. Lui, Eusèbe, le très picaresque va-nu-pieds, il construira San Gimignano, la merveilleuse petite ville juchée sur sa colline, symbole du renouveau toscan et prémonition d'un Moyen Age à venir et d'une Italie restaurée.