Entre violence et compassion : une psychiatrie de la sagesse : souvenirs d'un psychiatre

Le soir de ma dernière consultation j'avais liquidé le mobilier de mon cabinet, y compris le divan recouvert d'un tapis oriental, mes livres, mes archives... Pour le dernier jour de la série des quinze mille journées de ma carrière de psychiatre, je n'avais gardé que deux chaises, une pour moi, l'autre pour mon dernier patient : il était venu avec un appareil photo, m'avait photographié dans la pièce vide, assis dans mon fauteuil Voltaire. Je me séparais de tout ce qui avait été à moi sans regret. Si la psychiatrie avait été un être vivant je n'aurais pas pu m'en séparer de la sorte, je sentais combien elle m'avait accordé - toute sa substance. Mais ce n'était pas un être vivant. C'était une simple occupation qui avait été pour moi un défi en savoir. Il n'est pas à la portée de quiconque de résoudre l'énigme. Il me semblait quand même que j'avais réussi à donner au Sphinx sinon la réponse définitive, du moins quelques réponses, les plus approchantes que j'avais été à même de découvrir. Le soir qui serait bientôt la nuit allait tomber aux portes de Thèbes et avec elle l'obscurité qui fait des aveugles des clairvoyants. Sous les murs, dans les ténèbres, dans la souffrance, les héros déguisés en mendiants attendaient mais pas celui qui est épuisé. C'était à d'autres qu'il était réservé de prononcer, aux aurores, les mots à même de les tirer des griffes du Monstre.