L'enchantement du droit : légistique platonicienne

Le dialogue des Lois, première et magistrale réflexion de légistique dans la tradition occidentale, ne se présente pas comme un manuel ou un traité, mais comme une recherche vivante, un débat conduit précautionneusement, par essais et erreurs, rebonds et repentirs, et dont la méthodologie ambitieuse vise à installer la philosophie du Droit au sommet de la gouvernance. C'est qu'il s'agit pour l'Athénien, figure fictionnelle du bon législateur, de convaincre ses deux interlocuteurs, le Crétois et le Spartiate, pleinement satisfaits de leurs législations modèles, que tout est à refonder en matière de sagesse légistique. Mais pour savoir comment confectionner les lois de manière à leur assurer une adhésion aussi effective que possible, en somme les faire percevoir comme une source de plaisir, voire d'enchantement civique, il faut admettre le préalable d'une méditation radicale et globale sur l'anatomie étatique et sur les processus de la communication citoyenne.

A prendre le long discours de l'Athénien pour un doublet pragmatique de la République, ou encore, à découper dans ses propos tel ou tel bouillon rédactionnel, telle ou telle modélisation peïstique, on manque l'essentiel d'une critique et d'une créativité légistiques aussi audacieuses que subtiles. C'est pourquoi la question des «préludes législatifs» chez Platon, référence banale s'il en est pour les juristes, a été mise ici en résonance avec le texte tout entier du dialogue, dont elle constitue à la fois le fil conducteur et le point focal. Car loin de couper ses textes des fondements pré- ou parajuridiques de la juridicité, le sage législateur conçoit leur espace d'écriture comme un maillon à double face, qui exhibe et stimule des interactions quasiment synallagmatiques entre champs culturels.