La mère intime

«La femme-bombe était anxieuse. Rester, c'était trahir les Allemands, partir, trahir les Russes. Être russe-allemande, c'était être traître malgré soi, mais surtout, se trahir soi-même.» Sur la route de l'exil vers l'Allemagne, Ida songe: «Ce qui avait été son seul coin intime, dans l'immense Russie, elle le contemplerait désormais en elle, et rien n'empêcherait sa mémoire d'enjamber ces contrées fugitives, rien n'empêcherait sa mémoire de revivre à la loupe ce que l'éloignement étrécissait.»

Tania reçoit un hôte étonnant dans son ventre. L'inconnu, témoin du passé, l'emmène à la rencontre de figures oubliées qui, rapidement, lui deviennent familières. L'expérience pourrait être tragique. De fait, l'hôte est un enfant, mort avant de naître.

Tania rejette le désarroi et la rage pour traduire les mots chargés d'histoire qui lui parviennent d'une autre vie. Les mots font voyager le temps en elle, ils coulissent, jouent plusieurs rôles, sur plusieurs scènes. D'une scène à l'autre, ils se bonifient, dépassent le tragique et sa charge d'horreur, n'y puisent que la force. Ils lui rendent Ida plus proche qu'elle ne l'a jamais été.

De Ida à Elsa, d'Elsa à Tania, l'amour des mères est inconditionnel. Par-delà le tragique, on n'est jamais seul dans sa coquille. «Les collectionneurs de poupées russes ne s'y trompent pas, eux. Ils savent que la coquille seule, vide, est sans intérêt.(...) La poupée russe n'est pas un souvenir de voyage. Elle est un souvenir d'amour est sa possibilité d'arrimage. Elle est l'expression de l'amour maternel qui atteint la personne au plus profond de son être et apporte à l'existence un souffle d'humanité.»