Bordeaux, les landes

Bordeaux les Landes

« D'une vie antérieure, surgit cette cité sombre et lointaine que j'habitais alors et qui avait pour nom Bordeaux. Elle m'évoque vaguement cette cité solaire où je vis présentement et qui s'appelle aussi Bordeaux. Elle lui ressemble peut-être par la forme, mais non par la couleur, non par la lumière. Dans ce Bordeaux de mon adolescence, il y avait une ville neuve baptisée Mériadeck. Buildings de béton et de verre dressés sur des dalles, jardins suspendus, style International : un rêve de Le Corbusier. Et juxtaposée à la précédente, il y avait une vieille ville, faite de ruelles obscures, de façades sculptées dans l'anthracite, de palais oublieux de leur gloire défunte. On eût dit le coeur de Naples. Le théâtre en était patiné comme les temples romains que ses colonnes imitaient. Derrière des grilles rouillées, des quais vides de cargos et dont on avait démonté les grues, encombrés d'entrepôts à l'abandon où fleurissaient les tags, avaient l'air de décors dressés pour des règlements de comptes dans des films de gangsters. »

« Les paysages aussi sont mortels. Il y a cent cinquante ans, un désert régnait où s'étend aujourd'hui la forêt de Gascogne. Un désert immense de bruyères et d'ajoncs, dont les horizons vides s'élargissaient à l'infini, sans ombres ni reliefs pour arrêter leur glissement sous le ciel. Cette solitude couchée contre l'Atlantique, ce plateau de sable entre Garonne, Armagnac, Chalosse et Adour, c'étaient les Landes. Les intimes disaient simplement la lande, un peu comme on dirait la mer. »